Par CAPCAP - 29-04-2025 09:17:38 - 9 commentaires
Bonjour Tom,
Je suis tes progrès depuis la création de ce fil, il y a 6 mois, déjà.
Mais aujourd’hui, je préfère répondre ailleurs, sur mon blog, pour ne pas encombrer ton fil de mes cogitations.
Après la secousse en apprenant ton accident, qui engendre bien sûr la compassion, est venu le temps de tes opérations, puis de l’ultra-endurance de ta convalescence, de tes progrès impressionnants…
Mais je dois reconnaître qu’il est aussi venu une pointe de jalousie chez moi, oui, je l’avoue.
Pourquoi donc de la jalousie, après ce gros accident ? Comment peut-on "désirer" ta situation ?
Je vais essayer d’y répondre, pour purger cette réaction inappropriée.
Je ne suis pas sûr que mon texte soit bien rédigé, je fais ce que je peux. Ni qu’il soit facile à entendre, bien qu’il n’y ait aucune animosité envers toi, bien au contraire. Mais la comparaison de deux malheurs est forcément casse-gueule. Tant pis, je me lance, j’en sens le besoin.
Avant tout, il faut que je précise qu’après des années d’incrédulité et d’errance médicale, cet automne, un mois après ton accident, on m’a diagnostiqué une encéphalomyélite myalgique, maladie mal nommée (et anciennement nommée syndrome de fatigue chronique)
Une maladie très proche du covid long.
Tes blessures sont terribles. Fractures des cervicales, problèmes neurologiques…
Mais elles sont aussi concrètes. On peut les imaginer, imaginer leurs impacts, la gravité, les douleurs associées. Enfin, on peut le croire, même si on est forcément à côté de la réalité que tu as vécue.
Ma maladie est invisible, mon corps est intègre.
Le manque chronique d’énergie ne se voit pas. De même qu’on ne voit pas le brouillard cérébral, ce phénomène qui n’est pas un mal de tête, mais l’impression que tout est lent dans son crâne, que les gens parlent vite, que le souvenir des évènements est difficile à rechercher dans sa mémoire, que les mots se perdent, que l’association de deux pensées est difficile…
Cependant, j’ai la chance immense de ne pas avoir de douleur physique, comme la plupart des malades. Je peux rester debout sans difficulté orthostatique. Je peux même faire un peu de vélo et un peu de CàP, en limitant nettement mes efforts. On dit parfois que ça arriverait plus chez des anciens sportifs.
Incurable. Sans traitement. Inconnue.
Tels sont ses trois caractéristiques de cette maladie pour le corps médical.
Inconnue, oui, car absente de tout enseignement en France, malgré une reconnaissance par l’OMS en 1969. On ne peut pas vraiment en vouloir aux médecins de ne pas connaître une maladie absente de leur cursus. Mais le silence des instances qui encadrent la médecine en France est assourdissant. Il est aussi criminel, puisque certains en meurent, par épuisement, voire par suicide.
Incurable. Oui, on ne connaît pas de cas de rétablissement, mais tout de même quelques rares rémissions. Il y a des patients qui sont passés de l’état sévère à modéré ou de modéré à léger. Mais l’inverse est très vrai aussi.
Sans traitement.
Il n’existe qu’une seule chose pour espérer aller mieux, appliquer le pacing, une méthode issue des sports d’endurance (bien connue ici) qui consiste à économiser son énergie pour ne pas tomber dans le crash et espérer aller plus loin.
Chance...
Oui, j’ai la chance de n’être qu’en état modéré.
En gros, une vie à 50 %.
Sans travail, puisque la priorité de l’énergie doit aller à la nourriture, la toilette, les soins, les rendez-vous médicaux, les démarches administratives, un peu de lien social et un soupçon de sport.
Chance !
Oui, j’ai eu la chance de rencontrer la méditation il y a une dizaine d’années. De lire Eric Baret, un passeur de la tradition du tantrisme du Cachemire.
Je me souviens de mes premiers billets ici, sur le renoncement. Ça suscitait des réactions négatives, il n’est pas toujours bien vu d’évoquer le renoncement sur un site de bigoréxiques !
Pourtant un certain renoncement m’a permis de faire mes plus belles courses, celles où je me sentais le plus libre, dans la nature.
Renoncer à la prétention n’est pas renoncer à vivre.
Vivre, n’est-ce pas être ? Éventuellement faire ? Surtout pas avoir et encore moins amasser. (On n’est pas en démocratie quand un Français possède plus d’un milliard de fois ce que possède un autre).
Mais être, qu’est-ce que c’est ? Sans doute une question qui a cours de la naissance à la mort.
Je suis très loin d’être sage ou "éveillé", mais il est sûr que je dois à la méditation et aux enseignements reçus, le petit bout de chemin que j’ai fait. Et celui-là ne se mesure pas en km ni en D+ !
Et maintenant ?
Il semble s’agir d’apprendre à ne pas se battre.
Impossible de faire le mieux possible avec le Kiné. Impossible de faire le maximum à la séance de renforcement. Impossible d’appliquer un plan de réadaptation à l’effort.
Tous les efforts doivent se porter sur la modération. Sur l’écoute de ses ressentis, des signaux qui annoncent le coup de fatigue, pour renoncer à temps et se mettre en veille.
On est hyper-responsabilisés, car on est le seul à pouvoir améliorer son état.
Si on ne respecte pas sa fatigue, on va forcément aggraver les symptômes. Au-delà de "modéré", il y a l’état sévère, je vous laisse voir le reportage d’Arte, si vous voulez voir ce que ça veut dire...
Finies les endorphines de l’effort. Il faut trouver son bien-être dans la passivité. Pour ça, la méditation est bienvenue.
Je crois qu’il faut se foutre de la vie. La vie n’a aucune importance, elle ne vaut rien, c’est un merveilleux hasard !
Il faut juste prendre le calme comme projet, la paisibilité comme nirvana.
Trouille
Mais au fond de moi, je sens une petite trouille...
Je crains de ne plus pouvoir faire mes 6km à 8km/h, de ne plus aller voir le club.
J’ai peur de ne plus pouvoir me déplacer, lentement, à vélo.
Je redoute de ne plus pouvoir gérer mes affaires à cause du brouillard mental.
J’appréhende d’être un type dans une chambre d’hospice à moins de soixante ans, maltraité parce qu’on n’a pas les moyens d’avoir un personnel suffisant.
J’ai la trouille de ne plus pouvoir mettre fin à mes jours, quand je le voudrai...
Seul
Un médecin traitant qui ne connait pas la maladie. Un interniste à voir tous les 6 mois. Pas d’accompagnement, puisque la maladie est inconnue.
Aucun soutien de l’Assurance maladie ou de mon employeur.
Peu d’amis, car les années de fatigue m’ont fait renoncer à une bonne part de sociabilité. Juste un peu de famille, 2 frères et ma mère de 87 ans, je n’ai pas de compagnon, pas d’enfant… Comment cela aurait-il été possible avec cette fatigue, qui m’avait conduit vers un état dépressif ? Je ne suis plus dépressif, ayant compris petit à petit que cette fatigue est physique, réelle. Peut-être que je ne m’en tire pas trop mal, avec cette saleté de maladie.
Aucun centre spécialisé dans cette maladie qui touche sans doute plus de 300 000 personnes en France. Aucun soutien psychologique (hormis la psychothérapie que je me paie à 100 %, depuis des années)
Pas de perspective d’amélioration ou faible.
Apprendre à ne plus se battre, à ne plus chercher à "se dépasser", une colline de plus, une montagne de plus, un enchaînement de plus.
Non. Maintenant, c’est doux, doux, doucement. Peu, peu, parcimonieusement.
Voilà, j’ai craché le morceau. Il était resté dans ma gorge depuis des mois. J’espère qu’avoir pris le temps d’écrire fera comprendre que je n’ai absolument rien contre toi et que je te souhaite très sincèrement de te rétablir du mieux qu’il est possible et que tu retrouves ton job, ta famille, ton trail… et tes amis, qu’ils soient Kikous ou non.
Au plaisir de te revoir… et qui sait, sur une petite course, si on s’en sort bien tous les deux !
Reportage d’une vingtaine de minutes sur la RTS https://youtu.be/SNiadDmnrrY?t=894
Reportage d’une cinquantaine de minutes sur Arte https://www.youtube.com/watch?v=izekX-b9_fs
Billet précédent: Chouette, un répit !
9 commentaires
Commentaire de philkikou posté le 30-04-2025 à 07:38:32
Difficile de mettre un commentaire après ton billet ! Maladie ou blessure invisible, c’est sûr que ça n’entraîne pas la même empathie et compassion. Encore plus pour une maladie inconnue qui ne veut pas dire inexistante, tu en es galgals la preuve vivante ! Et le cheminement de renoncement et d’être obligé de prendre ton temps car ton corps t’y oblige, ça va à l’opposé de notre mode de vie occidentale où l’on n’a plus le temps, ou plutôt on ne prend plus le temps pour rien, même à la retraite !
En tout cas tu es leur le bon chemin, tu as sur Kikourou des Kikous qui suivent et comprennent tes galères, peut-être que d’autres trouvent ça décalé, inapproprié sur ce site mais aucune obligation de lire, et super si ça te permet d’avoir une fenêtre d’expression ( tout est possible sur Kikourou, même l’éloge de la lenteur :-) )
Commentaire de CAPCAP posté le 02-05-2025 à 08:17:30
Merci philkikou pour ton indéfectible soutien !
Commentaire de TomTrailRunner posté le 01-05-2025 à 07:54:58
Chaque parcours est particulièrement singulier et le tien l'est assurément et pleinement. Je comprends (et ne m'en offusque absolument pas) ton ressenti pour l'avoir traversé de même et l'avoir provoqué chez d'autres en centre de rééducation au vu des différents parcours de soins.
Dans le tien comme dans le mien, la préservation de nos capacités cognitives reste une formidable chance qu'il faut mettre à profit car les voyages intérieurs sont innombrables....
Par hasard ma fille philosophe m'a envoyé cette 4ème de couverture d'un essai hier qui résonne pour elle en rapport à ma situation et résonne ce matin en rapport à la tienne :
"Qui ne s’est demandé, levant les yeux vers un ciel étoilé, considérant son abyssale profondeur, quel sens avait l’existence ? Kant a formulé cette interrogation sous forme de réponse : deux choses, dit-il, remplissent le coeur, « le ciel étoilé au-dessus de moi et la loi morale en moi ». Cette pensée gravée sur la tombe du philosophe, Kant la formula plusieurs fois au cours de sa vie. Il y revient comme à un horizon où brille la conviction de la destination morale de l’humanité. Mais elle reste somme toute énigmatique. Cet essai en propose une lecture interne à la pensée kantienne puis interroge sa portée. Par son insistance et son inscription de l’insondable, elle conjure en effet une inquiétude. La béance de la nuit laisse entrevoir un abîme inadmissible pour le sens : c’est le hors-sens absolu que l’univers suggère à la pensée. Si Kant part du sentiment du sublime, le mûrissement de sa réflexion le conduit d’ailleurs à confronter le cogito des étoiles aux violences de l’histoire et à l’indifférence de la matière. Et l’épreuve intime du vieillissement lui rappelle sa dépendance envers le corps. La considération du ciel étoilé se retourne dès lors contre le regard kantien. Elle n’est plus tant le seuil d’expression d’une foi morale que celui d’une éthique de l’incertitude où le sens, coupé de toute justification transcendante, ne peut être fondé que par lui-même. Alors que l’expérience du ciel cosmique disparaît aujourd’hui sous la pollution et l’envahissement technologique, ce sont de nouvelles Lumières, celles du soin et de l’éthique du sens partagé, qui doivent percer au sein d’une histoire qui répand les ténèbres."
Avec toute mon amitié.
Commentaire de CAPCAP posté le 02-05-2025 à 08:35:36
Merci Tom
Au centre de rééducation, tu devais être bien jeune et avec un potentiel de forme physique et mental hors du commun, je suppose qu'il y avait beaucoup de fractures liées à l'age...
Est-ce "Cinq apparitions du ciel étoilé : Kant et le sens de l'existence" de Jean-marc Mouillie ?
Ça promet un intérêt certain, mais ma pile de livres est déjà bien chargée !
Attention à ne pas dépasser les 30 h de travail par demi-semaine ! ! !
Bien amicalement
Commentaire de TomTrailRunner posté le 02-05-2025 à 18:57:35
Oui pour le livre...
Commentaire de TomTrailRunner posté le 02-05-2025 à 18:59:36
J'étais en service Neuro ou j'étais plutôt dans les pas trop vieux avec ma lésion médullaire car 70% des patients avaient subi un AVC.
En traumatologie, il y avait pas mal de jeunes par contre...
Commentaire de Jean-Phi posté le 06-05-2025 à 10:21:14
Hello !
Je viens de lire attentivement ton post. J'avoue que ton message sur le fil de Tom m'avait interpelé. Je me permets de mettre un commentaire et si tu veux en échanger, ce sera toujours avec plaisir.
Tu dis "la vie ne vaut rien" un peu plus haut. Puisque Tom a cité Kant (qui est très à la mode en ce moment sur YT), je vais citer un autre "philosophe", Alain Souchon qui a répondu à cette phrase par "rien ne vaut la vie" dans sa sublime chanson.
Je souhaite te dire que ta réaction n’est pas appropriée. Tu souffres, au moins autant, sinon plus car tu vis quelque chose de douloureux.
Et pourtant, on ne mesure jamais tant la chance que l'on a qu'au travers du malheur de l'autre. Et curieusement parfois on le jalouse aussi un peu.
En fait, je ne pense que cela soit de la jalousie mais plutôt une forme d'injustice lorsque l'on souffre d'une maladie qui ne soit pas quantifiable, tangible (pour les autres). J'ai bien connu ce que tu traverses (et je connais encore) au travers du burn out et la dépression qui s'en est suivie et qui me poursuit encore. On se sent incompris, mal aimé parce que l'on ne peut mettre plus de mots sur nos maux que le peu que l'on a à livrer si la fatigue qui va avec nous laisse un tant soit peu de répit. Je comprends ce que tu dis quand tu évoques le brouillard mental, cette difficulté à assembler 2 idées qui se suivent. Pour moi c’était la recherche de mes mots et mon incapacité à me rappeler le sens de certains alors que je me suis toujours piqué d’avoir « quelques lettres ». Et puis cette fatigue permanente, ce cerveau au ralenti !!
On n’a pas de douleur physique, tu n’en as pas. A priori. C’est une chance pour celui qui lutte pour tenir debout. C’est vrai.
Pour autant, j'ai toujours dit (sans prendre de cas extrême comme dans le cas de Tom et d’autres) qu'une jambe cassée, c'était bien comme truc parce que ça se mesure en temps de rééducation / récupération / consolidation.
La dépression, ta maladie, ne se mesurent pas, ne se quantifient pas ainsi. C'est insondable et celui ou celle qui en souffre reste seul avec des douleurs (mentales et physiques), ses questionnements et le peu de soutien qu'il reçoit. Je le sais parce que je l'ai vécu et je ne comprenais pas. Ca n’a pas de sens.
Ce qui m'a aidé et m'aide encore c'est ce mantra : Ma vie est mienne et ne regarde que moi. Je vis l'instant présent : Carpe Diem. Crois-le ou non, cela m'enlève un poids considérable au moins sur le mental. Et les jours (ou semaine comme en ce moment) de grande fatigue, lassitude morale, je me raccroche à ceci : Savoure chaque instant. Sois vivant.
Dès lors tout prend un sens nouveau et, pour rebondir sur l'extrait que cite Tom, la vie prend un tout nouveau sens : Celui que je veux lui donner, insuffler. Dans l’insondable douleur comme dans les moments de « mieux-être ». Ceci malgré ce corps qui nous rend tous dépendants
Ça ne fait pas aller nécessairement mieux mais ça aide à se sentir tellement mieux !
Tu as fait un premier pas, le coucher sur ton blog. Penser c’est bien, l’exprimer c’est toujours mieux.
Prend soin de toi,
Amicalement.
Jean-Phi
Commentaire de Jean-Phi posté le 06-05-2025 à 10:33:22
PS :
J'ai écrit Je souhaite te dire que ta réaction n’est pas appropriée.
Tu auras corrigé mais c'est mieux en l'indiquant :Je souhaite te dire que ta réaction n’est pas INappropriée
Commentaire de CAPCAP posté le 08-05-2025 à 19:48:17
Bonjour Jean-Phi et merci de ton message.
Enfin de tes messages, car, suivant le moment, mon état mental permet ou non de corriger les rédactions faussées...
J'ai l'impression que tu dis des choses intéressantes, et je vais relire ça un matin, quand je suis plus frais ;-)
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